Il faisait peu être un peu froid ou humide comme aujourd’hui ce matin de l’octave de Pâques 1116 mais le chœur des moines était en fête. Ce jour là en effet on allait poser la pièrre angulaire de ce qui allait devenir la nouvelle abbatiale, l’église de l’abbaye bénédictine de Saint Gilles. L’abbé Hugues, inspiré par Cluny, avait décidé de bâtir une nouvelle église, à la hauteur de la réputation du saint qui attirait des foules de pèlerins chaque jour plus importantes.
Le projet était grandiose et l’enthousiasme des moines à l’avenant. Le tombeau de Saint Gilles, déjà placé dans la cryte, en fait l’église basse, n’accueillerait plus que des notables, des princes, des pèlerins notoire. La nouvelle église haute, aux dimensions impressionnante (100m de long à la fin de la construction un siècle plus tard) ne serait en fait qu’un immense déambulatoire permettant aux pèlerins de tourner au dessus du tombeau. Assurément le nouveau vaisseau de pierre élèverait l’abbaye au rang des grands pèlerinages de la chrétienté au même titre que Rome, Jérusalem et saint Jacques de Compostelle.
Les moines et leur abbé, ce jour là, ont dû prier, maçonner la pierre gravée encore visible aujourd’hui et comme nous banqueter pour fêter le début de ce beau projet. Leur enthousiasme fut de courte durée et bientôt interrompu par les guerres intestines mais l’idée était lancée. Elle mettra un siècle à se réaliser sans jamais être totalement terminée tant l’entreprise était grandiose. Cet anniversaire, 900 ans lus tard nous réunit aujourd’hui.
En 1116, les reliques de Saint Gilles étaient donc déjà placées dans l’église basse. Elles y resteront jusqu’au triste jour de 1562 où pour les protéger, durant les guerres de religion, elles furent déposées en partie à la basilique Saint Sernin de Toulouse. On les ajouta à celles déjà offerte par le comte Raymond de Saint Gilles au début du XIIe siècle. En 1885, l’abbé GOUBIER et l’architecte REVOIL, retrouvèrent le sarcophage originel contenant les restes du corps toujours conservés dans la crypte.
Aujourd’hui, après 500ans d’absence, c’est le retour d’une partie de ces reliques, aimablement prêtées par le diocèse et la ville de Toulouse que nous accueillons aujourd’hui dans une grande fête.
Permettez, à l’historienne des religions que je suis, de méditer sur le sens de ces reliques. Si nous nous interrogeons sur l’origine du mot religion nous trouvons le verbe latin : Religere qui signifie relier. Une religion relie mais quoi ? Un héritage une fraternité. Qui mieux qu’un saint peut relier l’héritage de l’enseignement du Christ à la fraternité des croyants ? Qui mieux qu’un saint peut se porter témoin, à travers les siècles, et relier la foi d’hier à celle d’aujourd’hui ? Qui mieux qu’un saint qui, lui, s’est brulé à la lumière de Dieu et qui irradie encore aujourd’hui de cette lumière. Comme Moïse qui irradie après la rencontre au Buisson ardent. De Dieu nous n’avons que la trace, comme Moïse n’en voit que la trace sur le sable. La relique est dons à la fois, lien, trace et témoignage. A ce titre et en ce jour de fête, nous sommes heureux de t’accueillir Saint Gilles et en te disant « Bienvenue à la maison ».
Catherine Poujol historienne, université libre de Bruxelles.
Saint-Gilles Dimanche de la divine Miséricorde 3 avril 2016
Comment imaginer Saint-Gilles sans son abbatiale ? Et pourtant il fut un temps où elle n’était pas…La situation géographique de cette localité lui permettait de jouer un rôle particulier quand on y faisait halte avant de prendre ou après avoir pris le bateau d’un rivage à un autre de la Méditerranée. Au milieu de toutes les activités liées aux affaires de la cité, aux échanges commerciaux, aux relations publiques, des moines y témoignaient que l’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole sortie de la bouche de Dieu. Et nous ne serions pas aujourd’hui dans cette abbatiale autour des reliques de saint Gilles s’il n’y avait eu ici un monastère de moines bénédictins, monastère fondé au 7° siècle, dédié aux saints apôtres Pierre et Paul. Si j’en crois – et surtout si j’ai lu avec suffisamment d’attention – les écrits de Mgr René Guignot et ceux de Monsieur Marcel Girault, c’est au 9° siècle que les Bénédictins font la découverte du corps de saint Gilles, fondateur de leur abbaye. C’est pour l’édification des pèlerins qu’ils rédigent un riche récit de sa vie.
Comme on l’a dit, Gilles vient d’ailleurs, il est né à Athènes. Très tôt il se laisse conduire par la radicalité de l’appel évangélique, distribuant ses biens aux pauvres, embarquant et se laissant conduire au gré des flots, suscitant la reconnaissance de ceux à qui il fait du bien. Conscient des risques qui découlent de la popularité et désireux d’y échapper, il recherche la solitude d’une grotte, puis d’une autre pour vivre en ermite. Comme vous le savez, c’est là qu’il est providentiellement nourri par une biche. On aurait tort de s’arrêter avec un sourire amusé devant un tel récit. Car si les personnes qui l’ont composé et transmis n’avaient pas nos moyens de formation et n’étaient pas pourvues de tous les équipements dont nous disposons, leur vie intérieure, leur quête spirituelle, leur cheminement n’étaient pas de moindre qualité que les nôtres. Merci donc à ceux qui nous guident et nous permettent d’entrevoir la richesse des récits qui nous sont parvenus. Ainsi, selon Monsieur Girault, l’histoire de la biche s’éclaire si l’on pense que cet animal est le symbole de la sagesse. Dieu a envoyé la sagesse à saint Gilles. Celle-ci l’a nourri de son lait spirituel. C’est ce lait qui fait de l’ermite un saint doté de pouvoirs exceptionnels, c’est cette sagesse qui le rend capable de guérir les malades...
Voilà qui nous rapproche du passage des Actes des apôtres qui vient d’être proclamé. A Jérusalem par les mains des apôtres beaucoup de signes et de prodiges s’accomplissaient dans le peuple... Tout le peuple faisait leur éloge. On allait jusqu’à sortir les malades sur les places. Ainsi, au passage de Pierre, son ombre couvrirait l’un ou l’autre. On venait des villes voisines. Et tous étaient guéris… Un historien moderne ou un journaliste occidental n’écrirait sans doute pas de la même façon mais la vérité profonde qui nous est offerte dans de tels récits comme dans les vies de saints retient notre attention si c’est vraiment de la sagesse et de la paix qu’il s’agit. Car – personne ne le niera - nous avons besoin de sagesse, nous sommes en quête de lumière, de repères, d’inspiration pour dépasser nos individualismes et nos peurs, pour voir en tout homme un frère, pour mieux vivre, pour mieux vivre ensemble. C’est d’ailleurs ce que nous font demander les prières de l’Office liturgique de saint Gilles le 1° septembre : accorde-nous, Seigneur, de partager la foi de saint Gilles et l’élan de son espérance pour entrer, nous aussi, dans la plénitude de ton amour. Puissions-nous, à son exemple, ne jamais rechercher que Toi et vivre en ce monde en hommes nouveaux.
Ces prières ne nous éloignent pas du monde, elles ne nous portent pas à regarder de loin ou de haut les réalités de ce monde. Elles nous invitent à les considérer à la lumière de l’Evangile, à les voir comme le Seigneur les voit. Elles nous invitent à faire preuve de lucidité, de lucidité évangélique. Car si au fil des siècles l’humanité a fait des progrès considérables, inouïs, en bien des domaines, a-t-elle autant progressé au plan spirituel, au plan moral ? Où en sommes-nous du sens de l’humain, du respect de la personne, de la recherche d’une plus juste répartition des richesses entre les personnes et les peuples, où en sommes-nous du respect de la Création ? Sans idéaliser le passé, il nous faut reconnaître aussi nos tâtonnements, nos déficiences et nos limites, notre indifférence et notre péché tant dans nos vies personnelles qu’à l’échelle de la planète.
Nous tenons à notre liberté mais n’est-elle pas sujette à bien des conditionnements ? Et la paix demeure toujours fragile. L’histoire de cette abbatiale témoigne de bien des tragédies, d’affrontements, religieux, politiques, politico-religieux, ... Comme tout édifice religieux, elle porte pourtant, elle porte d’abord un message de paix. Comme toute église elle est signe de ce Mystère de miséricorde qui nous habite et qui nous enveloppe, le mystère de Celui que nous désignons du nom de Dieu et qui s’est fait connaître, au sommet de sa révélation, en Jésus de Nazareth, lui qui a été crucifié sous Ponce Pilate. Que s’est-il donc passé de puissant et de discret à la fois, d’infiniment puissant et d’infiniment discret, après le vendredi saint et sa mise au tombeau, pour que les apôtres, enfermés dans une crainte parfaitement compréhensible, se mettent à déclarer qu’il est le Vivant, pour les siècles des siècles. Ils ont reçu de lui la paix et la mission de la répandre. Ils ont reçu de lui l’Esprit, la sagesse, et la mission de la proposer à tous pour que chacun puisse vivre dans sa mouvance confiant dans l’avenir qui nous est ouvert.
La foi est cette lumière qui vient du Vivant, qui vient de l’avenir, comme dit le pape François, lumière du Vivant qui entrouvre devant nous de grands horizons, qui nous conduit au-delà de notre moi isolé vers l’ampleur de la communion (Lumen fidei 4). Le croyant n’est pas arrogant. La vérité le rend humble. Loin de le raidir, la sécurité de la foi le met en route et rend possible le témoignage et le dialogue avec tous (Lumen fidei 34). De tels propos ne trouvent-ils pas une remarquable illustration dans la démarche de tant et tant de personnes pour qui et avec qui nous prions, de tant et tant de pèlerins, à St-Gilles et ailleurs ? En témoigne aussi ce message reçu du Saint-Siège et que je vous lis pour conclure :
[Message du Saint-Siège et bénédiction du Saint-Père]
+ Robert WATTEBLED
Evêque de Nîmes
